Recherche-action sur l'accès du public à la culture à Vitry-le-François
Pascal Le Brun-Cordier (Master 2 professionnel «Projets Culturels dans l'Espace Public»)
Résumé
Entre décembre 2005 et avril 2006, sept étudiants en Master ont activement participé à la recherche-action sur « l'accès du public à la culture » engagée par la scène conventionnée de Vitry-le-François, l’Espace Simone Signoret, sous la direction de Pascal Le Brun-Cordier, directeur du Master, et Didier Le Corre, directeur de la scène conventionnée, avec une trentaine de personnes de l’équipe du théâtre, de la SMAC de Vitry-le-François, et de la compagnie conventionnée Alliage Théâtre notamment.
Pourquoi une recherche-action ?
La démarche de recherche-action
Depuis 1959 et André Malraux, toutes les politiques culturelles successives réaffirment comme un leitmotiv l'objectif de démocratiser l'accès la culture pour tous ! Qu'en est-il aujourd'hui ? En moyenne, entre 10 et 12 % de la population française déclare fréquenter une salle de spectacle vivant !
A l'heure où, dans notre société mondialisée, l'économie semble primer de plus en plus sur l'humain, les fractures sociales, culturelles, s'élargissent, nous ne pouvons que constater aujourd'hui l'échec de la démocratisation culturelle, concept entendu ici non pas seulement comme une augmentation du nombre de spectateurs, mais comme un élargissement social des publics.
Si cette démocratisation avait réussi, les structures culturelles seraient-elles ainsi remises en cause sporadiquement par de nombreux élus politiques, représentants de collectivités locales et territoriales (procès récurrents d'élitisme et les baisses actuelles de subventions) ? Notre société se bâtit par la mise en commun de références, de sensibilité partagée qui fondent notre pacte républicain L'expérience esthétique nous construit comme individu dans un collectif qui fait société. En ce sens, la culture est un ferment indispensable de la démocratie.
Convaincus que la culture contribue à développer notre capacité à vivre ensemble et ayant inscrit la démocratisation comme l'un des fondements de notre projet, la nécessité de réinterroger notre projet, la place de la culture et la responsabilité des acteurs culturels dans la situation actuelle s'imposait !
C'est ainsi qu'après douze années passées à la direction de l'Espace Simone Signoret à développer et animer un projet culturel et artistique exigeant, sans concession démagogique et populiste, sur un territoire en grande difficulté sociale et économique, malgré un succès public validé par de multiples reconnaissances et conventionnements, j'ai proposé en juin 2005 à l'ensemble des acteurs de l'Espace Simone Signoret de s'engager dans une recherche-action sur la question de la démocratisation culturelle, la place de la culture et la responsabilité collective et individuelle de ses acteurs. Repenser notre projet et notre relation au public devenait une obligation absolue, avec le sentiment d'avoir déjà beaucoup expérimenté (spectacles en appartement, décentralisation en milieu rural, action culturelle dans les quartiers, plan local d'éducation culturelle et artistique, permanence d'artistes, ateliers de pratiques amateurs...), mais de ne réussir que trop marginalement cet élargissement du public.
Le choix de la recherche-action s'est imposé de lui-même. Je ne voulais pas d'une démarche classique d'audit, instituant une relation verticale entre des consultants extérieurs et les acteurs locaux concernés, et débouchant bien souvent sur une restitution sous forme d'un rapport ou d'un énième colloque 1 La recherche-action, démarche active et collective, associe tous les acteurs dans une relation horizontale, chacun étant porteur d'une part d'expertise, sans hiérarchie parmi les participants. La démarche devait comprendre une phase de formation théorique, une phase d'échange pour se doter d'une histoire, de références et de définitions communes, une phase d'apports extérieurs pour enrichir notre réflexion, prendre du recul et débattre de nouvelles perspectives. En proposant l'Espace Simone Signoret et le territoire de Vitry-le-François comme terrains de recherche et lieux d'expérimentation, nous cherchons à comprendre les raisons de la non-participation d'une grande partie de la population à la vie culturelle. De cette réflexion devraient résulter des propositions de réorganisation structurelle, de modalités d'intervention, d'actions culturelles destinées à augmenter et diversifier le nombre d'acteurs et de spectateurs du spectacle vivant.
Les participants à la recherche-action
Au côté de la totalité de l'équipe de l'Espace Simone Signoret investie dans cette dynamique, se sont inscrits les membres de la Compagnie Alliage Théâtre, associée à l'Espace Simone Signoret depuis la saison 2004/2005 et dirigée par José Renault, metteur en scène. Un auteur metteur en scène, Pascal Adam, ainsi qu'un autre comédien metteur en scène Jean-Michel Guérin, se sont joints à l'aventure. Ont aussi travaillé avec nous des élus de l'association, deux élues municipales, des professionnels municipaux d'autres structures culturelles ainsi que divers partenaires porteurs d'une certaine parole du public (le Réseau d'Echanges et de Savoirs Réciproques, association A livre ouvert, l'Orange Bleue, les conseillère de la CAF,....)
A la recherche d'apports méthodologiques et ressentant le besoin d'un accompagnement compétent extérieur au territoire, nous avons souhaité établir une passerelle avec l'université.
Sollicité, Pascal Le Brun-Cordier, consultant et professeur associé à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne a accepté cette mission et sept étudiants inscrits dans le Master 2 professionnel « Projets culturels dans l'espace public» dont il a la responsabilité ont accepté de s'associer à cette démarche
Nous avons été jusqu'à 32 personnes réunies sur le plateau de l'Espace Simone Signoret au cours des journées de travail en réunion plénière. Le seul regret réside dans le peu de présence des élus municipaux, et notamment les conseillers en cha de la politique culturelle municipale. Cette situation ri de freiner l'ensemble du processus de recherche-action, de l'important travail d'explication qu'il nous faudra recommencer !
Les objectifs de notre recherche-action
Trois objectifs principaux ont été définis au cours d'une première séance collective de travail :
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Élargir les publics. Dans un objectif de démocratisation de l'accès à la culture entendu comme un élargissement social des publics concernés par l'Espace Simone Signoret ou qui n'y viennent pas encore.
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Intensifier, enrichir l'expérience esthétique des publics. Favoriser une expérience plus riche, plus intense des spectateurs. « Nouveaux lieux, nouvelles formes »
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Mettre en débat, affirmer et faire entendre le projet de l'Espace Simone Signoret
La méthode de recherche-action, un projet en trois étapes
Temps 1/ Etat des lieux / formation des participants les 8, 9 et 10 septembre 2005
Temps 2/ Les chantiers à ouvrir: les 2 et 3 novembre 2005
Temps 3/ Restitution du travail des ateliers et débats les 8, 13, 14 et 15 avril 2006
l/ Les trois premiers jours de septembre 2005 ont été consacrés à un temps de formation et de débat afin de se constituer un socle commun de références (définition de quelques notions et concepts points de repères historiques, sociologiques et politiques concernant les politiques culturelles ; enquête sur les pratiques culturelles des français ; réflexion sur les enjeux ; présentation d'expériences et premiers questionnements sur le projet de démocratisation de la culture ...). Lors des débats, l'ensemble du groupe s'est entendu pour définir la notion de démocratisation de la culture non pas seulement comme une augmentation du nombre de spectateurs, mais comme un élargissement social des publics.
2/ Les deux jours de novembre 2005 ont permis dans un premier temps de revenir sur le contenu de la séquence de septembre,
de réagir sur les nombreux documents laissés alors aux participants par Pascal Le Brun-Cordier, et d'arrêter collectivement les objectifs de cette recherche-action. Puis en partant de l'évocation des saisons précédentes, des actions menées par le passé, de nos expériences individuelles ou collectives, du repérage de nos difficultés, nous avons travaillé à définir sept chantiers qu'il nous paraissait important d'ouvrir au regard de l'objectif de la recherche-action :
Atelier 1 : La communication
Atelier 2 : La connaissance des publics
Atelier 3 : L'accueil des publics
Atelier 4 : La politique tarifaire
Atelier 5 : Les relations avec les publics
Atelier 6: Nouveaux lieux/Nouvelles formes
Atelier 7 : Restitution de la recherche-action et mise en débat public Les six premiers ateliers ont fait l'objet d'un travail important de la part des étudiants de Paris 1 et des acteurs concernés durant la période de décembre 2005 à avril 2006. Chaque atelier devait comprendre une séquence diagnostic et/ou de bilan, une séquence d'étude théorique et/ou comparative, une phase de préconisation, afin d'alimenter les débats programmés lors du temps 3 de restitution.
3/ Les quatre jours du mois d'avril 2006 ont été consacrés à la restitution des recherches menées principalement par les étudiants. Ceux-ci ont produit des dossiers thématiques documentés, présentés lors des quatre journées. Les débats ont réuni jusqu'à 32 personnes autour de la table dressée sur la scène de l'Espace Simone Signoret.
Quelques chiffres:
9 joumées de réunion plénière, dont 3 jours de formation.
40 acteurs locaux ont participé à tout ou partie de la démarche
7 étudiants, en qualité de stagiaires indemnisés, ont constitué l'équipe universitaire associée, sous la direction de Pascal Le Brun Cordier, leur professeur, lis ont effectué près de 2 000 heures de recherche et d'étude et participé à 7 joumées de découverte, réunion, restitution à Vitry-le-François. Un étudiant a conduit les deux enquêtes « connaissance du public » durent deux mois en qualité de stagiaire iidemnisé.
Bilan et perspectives
Il est difficile de résumer en quelques lignes les apports et les débats qui ont animé chaque atelier, d'autant plus que de nombreuses interactions sont apparues entre ces ateliers dont les champs de questionnement recouvraient naturellement la globalité du projet. Cette recherche-action a représenté certainement l'un des moments le plus important de la saison 2005/2006. Ce fut une expérience humaine très riche en raison de la diversité des participants, rare par la qualité d'écoute et de dialogue, les contributions personnelles et l'engagement réel de la plupart des acteurs présents. L'un des premiers effets fut de nous obliger à prendre le temps du recul et de la réflexion sur le sens de notre travail et du projet que nous portons depuis plusieurs années. Ce fut un temps de formation interne exceptionnel dont nous mesurerons certainement les effets dans les périodes à venir. Ce fut aussi difficile, car même si la recherche-action résultait d'une démarche volontariste et que nous avions décidé d'ouvrir tous les dossiers, il n'est pas toujours aisé d'être confronté au regard extérieur, d'accepter des avis ou «jugements », souvent pertinents, mais dont certains pouvaient apparaitre parfois hâtifs en raison d'une connaissance partielle des actions réalisées précédemment.
Des actions concrètes en projet
Plusieurs pistes de travail ont été identifiées lors de cette première année. Certaines d'entre elles, relativement techniques, devront conduire à des décisions rapides à prendre en Conseil d'administration pour être effectives dès la saison prochaine. C'est le cas pour les aspects communication, politique tarifaire, abonnements... La question de la connaissance des publics a fait actuellement l'objet de deux enquêtes dont les synthèses seront produites au début du mois de juillet. Elles nous permettront de disposer d'éléments objectifs pour alimenter nos réflexions et débats futurs. La première, pour les publics réguliers et occasionnels, a été réalisée sous forme de questionnaires distribués lors des spectacles des deux derniers mois de la saison 2005/2006. La seconde, concernant les publics absents, a eu lieu en avril et mai 2006, sous forme d'entretiens semi-directifs administrés par un étudiant stagiaire. Cette démarche d'enquête, appliquée régulièrement et complétée par d'autres outils méthodologiques, pourrait déboucher sur la mise en oeuvre d'un observatoire local des publics. D'autres pistes, plus complexes car nécessitant des négociations avec nos partenaires et notamment la Ville de Vitry-le-François, devront être explorées au cours de la saison prochaine (l'accueil du public, identification et signalisation du lieu...). D'autres encore, plus artistiques, plus politiques, nécessiteront quelques études, l'ouverture de nouveaux chantiers (nouveaux lieux/nouvelles formes ; relation avec le public/spectateurs relais...) au cours des saisons à venir.
Un diagnostic à partager
Enfin la question de la restitution et de la mise en débat public devra faire l'objet d'un important rendez-vous. Notre objectif ne sera pas d'organiser un énième colloque. Nous tenterons, dans le cadre d'un rendez-vous ouvert au public, de rendre compte des résultats de notre travail, en présence de l'ensemble de nos partenaires, élus politiques, tutelles, artistes, professionnels permanents, pour établir un diagnostic partagé de notre projet au regard des enjeux de démocratisation, puis réfléchir à des propositions pour mieux articuler exigence artistique, logique de territoire et démocratisation culturelle. Cette réunion publique pourrait s'achever par la mise en place officielle d'un observatoire local des publics et d'un comité de suivi du projet de l'Espace Simone Signoret. Il serait souhaitable que cette rencontre soit organisée au cours du premier semestre de l'année 2007.
Le travail réalisé au cours de cette saison 2005/2006 n'est qu'une première étape et la recherche-action va certainement devoir être poursuivie, en raison des chantiers ouverts et qu'il nous faudra conduire, mais également des nombreux questionnements soulevés auxquels nous ne pourrons pas nous dérober 1 L'enjeu est d'importance 1 Loin de tout terrorisme intellectuel qui consisterait à penser que tout le monde devrait participer à la vie culturelle, notre responsabilité est d'œuvrer pour que chaque personne ait les moyens de choisir en toute connaissance de cause d'y participer ou non. Concilier exigence artistique et exigence démocratique. contrainte économique, élargissement social et augmentation des publics.
Ressources complémentaires :
Il y a 3 éléments annexés à cet article.
Vitry-le-François questionne sa politique des publics
Par Cyrille Planson, article paru dans La Scène – juin 2006
L'époque est au discours, peut-être moins à la réflexion. Sur les publics, sur l'évaluation des actions. Chacun sait que le temps matériel et les cadres méthodologiques manquent pour que les acteurs culturels se posent réellement la question du devenir des politiques culturel les. Pour autant, le constat de l'échec – total ou relatif, c'est selon – des politiques de développement des publics et de l'ambition française de démocratisation culturelle est partagé par tous.
À Vitry-le-François, Didier Le Carre, directeur de l'espace Simone -Signoret, a conduit tout au long de l'année un projet de recherche-action développé en étroite collaboration avec Pascal Le Brun-Cordier, professeur associé à l'Université
Paris-I Panthéon-Sorbonne et responsable du Master 2 professionnel «Projets culturels dans l'espace public».
En s'engageant pour trois saisons dans un compagnonnage avec l'Alliage Théâtre de José Renault, et après dix années passées à la tête de la structure qu'il a créée, le directeur de la scène conventionnée marnaise souhaitait mettre en partage la question de l'accès du public à la culture et au spectacle. La recherche-action entend mettre à plat toutes les actions existantes, réinterroger les objectifs poursuivis et réadapter les moyens mis en oeuvre.
La terminologie est alambiquée mais le concept de «recherche-action» est simple". Plus qu'une étude sur les publics, la recherche-action est fondée sur une démarche participative, collégiale. Elle a pour objectif de définir un certain nombre de préconisations adaptées au lieu et à son environnement. Les acteurs culturels locaux ont pris une part active à ce travail de fond. Associée à cette entreprise collective, Christine Bergaut, présidente de l'association «A livre ouvert», témoigne de l'intérêt du tissu associatif pour une «démarche participative d'autant Idris intéressante qu'elle est lancée par un lieu qui n'est pas en difficulté mais qui s'interroge sur sa relation an public, à la population, sur le "mieux faire". Cette réflexion n’a pas fonctionné en vase clos et c'est l'essentiel».
Le dispositif retenu par Pascal Le Brun-Cordier et Didier Le Corre s'articule autour de trois temps. En septembre 2005, un premier échange a été consacré à la formation afin de constituer une culture commune à l'ensemble des participants (salariés de la structure, membres du conseil d'administration, membres de la compagnie associée, acteurs associatifs locaux, représentants de la Ville et des autres collectivités.). « Il nous fallait d'abord réinterroger l'histoire des politiques publiques de la culture, disposer de repères sociologiques et d'informations statistiques sur les pratiques culturelles des Français, afin que nous partions tons dans celle aventure avec les mérites bases, du technicien de la structure au comédiens de la compagnie associée, en passant par les acteurs associatifs locaux», explique Didier Le Corre. «Au cœur de tous ces échanges nous avions placé la question de la démocratisation culturelle et l'enjeu de la démocratie culturelle».
Ces premiers jalons étant posés, différents ateliers thématiques ont pu être ouverts autour de questions concrètes telles que la communication, la connaissance des publics, l'accueil, la politique tarifaire... Sept étudiants du Master de Paris-I ont alors préparé chacun de ces rendez-vous. «Nous sommes venus sur le terrain, d'abord pour sentir la ville, appréhender le contexte local, les difficultés d'une ville qui compte plus de 70% de logernents sociaux», souligne Camille Geoffroy, étudiante du Master. Les étudiants ont réalisé une synthèse des ressources théoriques sur chacune de ces questions, présentant l'évolution des usages et des politiques, tout en développant une approche comparative des pratiques développées par d'autres structures. Une cinquantaine de propositions concrètes ont été présentées et discutées par l'ensemble des participants. «Par exemple, concernant la politique tarifaire, roues avons réalisé une enquête auprès des scènes conventionnées afin de proposer une nouvelle grille el d'en débattre, rappelle Camille Geoffroy. Nous n'avons jamais senti de conflits d'intérêts entre les uns cf les autres, juste un investissement total de l'équipe du théâtre et des participants. Nous avons remis en débat la ligne graphique de l'Espace. Le graphiste participait à ces échanges. Nos remarques l'ont interpellé. Nous ne trouvions pas que ses propositions, au fil des ans, permettaient d'identifier clairement le lieu et son projet. Le dernier jour, il est venu avec un autre projet qui intégrait nombre de nos réflexions communes. Je sais aussi que nos propositions visant à identifier, former et valoriser des personnes-relais ne resteront pas lettre morte.»
Pour poursuivre ce travail, au printemps, une quarantaine d'entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès de personnes qui ne fréquentent pas la structure. Une enquête par questionnaires a été diligentée auprès du public régulier et du public occasionnel du théâtre. Ces données viendront conforter ou infirmer les hypothèses avancées au sein des ateliers avant que les premières actions concrètes ne soient mises en place. Une étape importante demeure à franchir. «Nous tenons à ce que ce travail soit restitué plus largement aux acteurs locaux et au public, précise Didier le Corre. Ce temps d'échange, prévu pour l'automne 2006, sera essentiel si nous voulons que ce projet Sait partagé collectivement. au-delà de la trentaine de participants à la recherche-action», Nul doute que ces réflexions partagées et ces modes de coopération associant acteurs culturels, associatifs, élus et publics sont appelées à se développer.
Interview de Pascal Le Brun-Cordier
Un certain nombre de responsables d'équipements culturels mènent des enquêtes pour mieux connaître leurs publics, des audits sont régulièrement réalisés à la demande des collectivités, mais il est plutôt rare d'engager une recherche-action impliquant toute l'équipe d'un théâtre, ses différents partenaires, et une compagnie associée, pendant toute une année. Dans les approches classiques, le consultant, le sociologue ou le chargé d'étude est en position d'extériorité et de surplomb, et sa contribution se matérialise avant tout dans un rapport et une restitution ponctuelle. Ici, nous avons misé sur l'horizontalité (l'expertise est collective) et la continuité (une année), avec des allers-retours entre réflexions internes, regards extérieurs et production de savoir. Nous avons également tenté d'articuler toutes les dimensions et tous les acteurs du projet, dans une logique systémique. Cette démarche progressive et partagée, d'une grande richesse humaine et intellectuelle, doit permettre de favoriser une évolution des représentations et des pratiques.
Quels premiers constats tirez-vous de cette action ?
Je pointerai deux éléments de conclusion. Tout d'abord, la nécessité d'envisager de manière globale la question de l'élargissement des publics et celle d'une meilleure articulation entre projets artistiques, territoires et populations. Ce ne peut être seulement l'affaire d'une personne, le chargé des publics par exemple. Il convient d'interroger l'ensemble du projet, avec l'ensemble de ses acteurs (équipe administrative, artistes, spectateurs...), à différents niveaux : diversité de la programmation (genres et lieux), qualité des partenariats, de la médiation, des relations avec les publics, du travail avec les relais, pertinence de la communication, cohérence de la politique tarifaire, qualité de l'accueil des publics, des espaces, développement des liens avec les amateurs, signalétique dans la ville, etc. Ensuite, la nécessité d'introduire une plus grande rationalité : établissement d'un diagnostic/définition d'objectifs/mobilisation de moyens/fixation d'indicateurs. On risque, sinon, comme on l'observe souvent, de démultiplier les moyens sans avoir clairement défini d'azimut et sans pouvoir savoir dans quelle mesure on l'atteint.
Les politiques culturelles souffrent souvent d'un manque de précision et de rationalité : diagnostics approximatifs, objectifs confus, moyens peu ajustés, évaluations rares.
Dans ce contexte, la recherche-action permet de sortir des généralités incantatoires, et, en rassemblant tous les acteurs concernés, d'ausculter le système, de partager un diagnostic, d'introduire de la distance, de l'oxygène, de la visibilité et de la méthode, et d'améliorer le pilotage du navire ! Il y a urgence à redonner sens et vigueur à des politiques publiques de la culture souvent en voie de fossilisation. Les études ne contribuent pas toujours à transformer le système. Une recherche-action comme celle-ci va plus loin en préconisant de nouvelles méthodes, une nouvelle approche des questions. Nous avons créé les conditions d'un changement effectif, d'une mutation forte que l'équipe en place semble en mesure d'accompagner sans réserve.